Réinventer le Management

Si l’on considère simultanément l’avènement de l’information immédiate dans la société, la crise financière et économique, les tensions intergénérationnelles et une recherche sans précédents des talents, on est enclin à remettre en cause les modes de management classiques, qui semblent peu préparés à affronter de tels changements.

Ainsi, Serge Perez, président de l’agence Les Ateliers Corporate, explique dans Les Echos du 13 octobre comment l’information immédiate, partagée et collaborative, diffusée par les outils web 2.0 « fait voler en éclat les mécanismes traditionnels de fonctionnement des entreprises. Les rapports au temps, la notion d’espace géographique, les relations avec la hiérarchie, le partage de l’information…tout est bouleversé ».

La crise met une pression forte sur les directeurs des ressources humaines. Pierre Landry, DRH de Regus, raconte dans Les Echos du 2 septembre qu’il « n’a eu de cesse ces derniers mois, de réorganiser, de remotiver les équipes afin de gérer ensemble la baisse de l’activité économique. Pas d’autre alternative que de se rendre sur le terrain, d’user de pédagogie et surtout de tenir un discours de vérité ».

Amaury Houdart, DRH de Logica France, confirme la nécessité de réévaluer les actions du management : « Une des premières missions du DRH est de contribuer à communiquer par le projet d’entreprise, d’organiser la diffusion et l’explication des décisions de la direction générale pour donner un sens aux changements demandés aux salariés ».

Jean-Rémi Touze, DRH de Siemens, souligne la même nécessité : « Travailler sur la motivation et sur le renforcement des compétences internes est essentiel. Si vous ne donnez pas du sens à la contribution de vos collaborateurs et que vous ne les accompagnez pas, notamment en période de crise, ces derniers sauront s’en souvenir quand la croissance reviendra ».

Donner du sens, partager l’information, remobiliser, favoriser l’innovation, transformer ses managers en leaders, organiser l’écoute mutuelle, reconnaître l’intelligence émotionnelle : remettre l’homme au cœur de la gestion et du management.

Henry Mintzberg, professeur à l’université McGill au Canada, avait, depuis longtemps, alerté les entreprises sur ces mutations, s’interrogeant notamment sur la pertinence de l’enseignement du management dans les Business Schools. Dans Managing, sa dernière publication, il estime que le management relève plus d’un processus social que de décisions brutales et unilatérales. Cela est d’autant plus vrai que le niveau intellectuel et de formation des personnes à manager est élevé.

Pour Guy Harmel, président fondateur du cabinet Srategos, situé à Chicago, et professeur invité à la Harvard Business School et à la London School of Economics, par ailleurs auteur de The Future of Management, il s’agit de réinventer le management en l’adaptant à la société de l’information et au Web 2.0. Les entreprises doivent se poser maintenant la question de l’innovation managériale.

Il énonce pour nous aider 12 principes :

• Laisser libre cours à ses idées et son imagination ; Internet ne doit rien étouffer
• Echanger en permanence à travers des chats et des forums pour confronter ses idées
• Laisser les agitateurs s’exprimer
• Oublier sa position sociale et son diplôme ; nous sommes jugés sur notre contribution
• Reconnaître les leaders naturels qui s’imposent dans les échanges sur la toile
• Partager son expertise pour être reconnu et influent
• Avoir un comportement altruiste et convaincant
• Choisir son mode de fonctionnement (blog, forum, open source…) selon ses centres d’intérêt
• Auto-construire son groupe de travail en fonction de son expertise ou de ses projets
• Savoir que les ressources - informations ou individus - s’allouent aux projets les plus attractifs
• Offrir à tout utilisateur un droit de veto si les décisions sont préjudiciables à la communauté
• Valoriser et reconnaître la coopération.

Le management web 2.0 implique l’usage des réseaux sociaux. Il n’en est qu’à ses prémices, mais s’installe déjà dans les entreprises.

Ainsi Jonathan Schwartz, PDG de Sun Microsystem, déclare dans Business week, selon Les Echos du 27 juin « Via la vidéo ou par le biais de 140 caractères sur Twitter, dirigeants et employés, nous devons tous pouvoir entrer en contact avec tous les clients dans les forums qu’ils fréquentent, selon les formats qu’ils ont choisis et non pas que nous choisissons pour eux ».

Alain Bentolina, directeur du R&D MUST (Mutualisation des Savoirs et des Talents) poursuit dans le même sens « La mutualisation des savoirs et des talents des salariés et des clients, grâce à un réseau social, sera demain la seule voie possible de distinction pour des entreprises en grand danger de banalisation de leurs produits comme des discours qui les enveloppent ».

C’est un vaste chantier qui s’ouvre à nous, car si l’on en croit Gary Hamel, l’enseignement généralement prodigué en MBA ou les programmes de formation pour dirigeants ne permettent pas de penser l’existence d’alternatives radicales à la façon dont nous dirigeons.

Sans aller vers un point de vue aussi extrême, certains observateurs prétendent que The Future of Management annonce la fin du management « classique ». Il faut donc en reconstruire un nouveau au sein duquel la maîtrise et la diffusion du savoir, ou de l’expertise, joueront un rôle essentiel.
L’instrumentation du savoir opérationnel deviendra un facteur prépondérant dans le mode de management des entreprises qui veulent, à la fois, demeurer humaines pour leurs salariés et clients et assurer leur développement durable.