L’arrivée de la société de l’information
Alvin Toffler est l’un des spécialistes les plus connus au monde pour l’analyse et la prévision des changements que nous vivons ou allons subir. Depuis 40 ans il annonce la fin de l’ère industrielle et l’arrivée de la société de l’information. Dans le Choc du Futur, paru en 1974, il analyse les conséquences de ces changements trop rapides et vécus dans un temps trop court, qui désorientent les individus et les obligent à se protéger du stress. Avec La Richesse Révolutionnaire, son dernier ouvrage paru avant la crise en 2007, il fait émerger le concept de prosumer ; concept se référant à un consommateur informé par un producteur qui, à travers un espace collaboratif, co-construit son produit ou service. Mais cette information ou ce savoir se propagent dans le temps et l’espace à une telle vitesse qu’il n’existe plus de durée pour la réflexion et la compréhension. Une des raisons de la crise financière, pour Alvin Toffler, trouve son explication dans ce constat et cette analyse. En effet, les nouveaux instruments financiers, créés dans la nuit, notamment les produits structurés, se répandaient dans le monde entier en l’espace de quelques secondes, contribuant ainsi à la diffusion peu apparente des risques et à la constitution de la bulle. L’immédiateté des réponses induite par la diffusion instantanée de l’information nous prive de la capacité de discernement ; laquelle exige un minimum de temps. Nicolas Carr arrive au même constat dans un article publié dans la revue The Atlantic en juin 2008 : « Is Google making stupid » ? Google nous rend-il stupide ? Il y poursuit l’analyse faite il y a 40 ans par le sociologue Mac Luhan, qui expliquait comment le média devenait le message : le support conditionne et formate la pensée. Déjà Joël de Rosnay en 1995, avec L’homme symbiotique, évoquait l’inclusion de notre cerveau dans un cerveau collectif dont nous sommes quelques cellules : « Cette vie hybride, à la fois biologique, mécanique et électronique, est en train de naître sous nos yeux ; nous en sommes les cellules. » On imagine même maintenant que la relation avec son i-phone se vit comme une greffe homme- machine ou comme une prothèse cérébrale. Ainsi, l’on deviendrait un simple neurone perdu dans l’univers du cloud computing, errant d’un continent virtuel à un autre, drogué par les informations, mais incapable de les assimiler. En réaction à cet état de fait, le philosophe Paul Virilio, auteur du Futurisme de l’instant, stop eject. refuse l’utilisation des courriers électroniques qui compressent le temps, aplatissent la géographie et ne communiquent que par la Poste. Il estime que l’ère de l’information devient celle de la synchronisation, ou de la pensée conditionnée et unique. Avec le cerveau collectif – le même pour tout le monde – disparaît la différenciation provoquée par la réflexion individuelle qui hiérarchise les problèmes et les resitue dans leur contexte et leur histoire, afin de leur donner du sens,. L’intuition s’évanouit et la sérendipidité est rangée dans le placard des histoires romanesques Le débat ne fait que commencer et sans vouloir à nouveau jouer les Cassandre, l’entrée de notre humanité dans l’ère post industrielle, caractérisée par l’information et le savoir, distribués et accessibles à tout moment, nous ouvre de nouveaux challenges. Nous devons toujours garder à l’esprit que dans l’apprentissage d’un nouveau savoir opérationnel, c’est la capacité à le comprendre et à l’intégrer simultanément dans une organisation professionnelle et une histoire personnelle, qui doivent être développées. Ce doit être notre fierté de pouvoir offrir à chacun le discernement propre à l’honnête homme. Notre responsabilité est engagée. Nous ne devons pas finir comme Charron passeur des morts, mais au contraire devenir des passeurs de la vie, créateurs de richesse, transformant la connaissance en cognition grâce aux multiples formes de l’apprentissage.