Un crédit d’impôt formation permettrait de réinvestir les entreprises

Wed Mar 30 2016 16:55:32 GMT+0200 (Romance Daylight Time), Jean Wemaëre

"Nous sommes très satisfaits de voir Gérard Cherpion et JeanPatrick Gille proposer la mise en place d'un crédit d’impôt formation comme nous le préconisons", indique à l’AEF le président de la FFP (Fédération de la formation professionnelle), Jean Wemaëre. Il rejoint également le rapport parlementaire sur sa critique de la complexité du CPF et regrette que les salariés soient "les grands perdants" de ce dispositif qui est quasi exclusivement tourné vers les demandeurs d’emploi. Plus largement, Jean Wemaëre revient, en compagnie de la déléguée générale de la fédération, Emmanuelle Pérès, sur la mise en oeuvre du "plan 500 00" formations supplémentaires, sur la définition de l’action de formation, sur les pistes envisagées pour développer l’investissement formation dans les entreprises et les travaux en cours sur la qualité.

Les travaux menés sur la qualité des actions de formation font partie des sujets d’inquiétudes des représentants de la FFP qui s’interrogent notamment sur la voie que semblent emprunter les travaux pilotés par le Copanef. "Le débat hésite entre la validation du professionnalisme des organismes de formation et la validation de l’action de formation […]. Or, nous avons l’impression que les travaux du Copanef penchent vers ce deuxième sujet", notentils tout en soulignant que cela ne correspond pas à l’esprit de la loi du 5 mars 2014 ni à celui du décret du 30 juin 2015 sur la qualité.

La question du pilotage des politiques de formation évoquée dans leur rapport par les députés JeanPatrick Gille et Gérard Cherpion est d’ailleurs sousjacente dans les commentaires des représentants des organismes de formation privés qui voient "un conflit de souveraineté entre la souveraineté née du paritarisme et la souveraineté de l’État derrière la querelle du CP". Ils estiment d’ailleurs qu’un "rééquilibrage est sûrement nécessaire" entre les acteurs. AEF : les députés JeanPatrick Gille (PS) et Gérard Cherpion (LR) viennent de produire un rapport plutôt positif sur la mise en oeuvre de la loi du 5 mars 2014.

Partagezvous leurs constats et propositions ?

Jean Wemaëre : Le rapport porte le même diagnostic global que celui porté par la FFP depuis plus d’un an : les fondamentaux de la loi sont bons mais des mesures fortes sont nécessaires pour lever certaines difficultés créées par la mise en oeuvre de la réforme. Nous sommes très satisfaits des propositions des parlementaires, et en particulier de leur première qui reprend notre demande de crédit d’impôt formation. L’idée d’une incitation fiscale est également soutenue par le Medef et la CGPME et nous espérons que le gouvernement entendra cet appel. AEF : Sur cette question du crédit d’impôt, et plus largement de l’investissement formation, où en sont vos travaux avec Bercy ? Jean Wemaëre : Nous allons présenter les résultats d’ici quelques semaines. Nous avons une écoute plutôt positive des ministères des Finances et du Travail sur cette question du crédit d’impôt. Nous rappelons qu’un crédit impôt formation a déjà existé de la fin des années 1980 à 2004 et nous estimons que le coût serait faible si nous le ciblons sur les PME. AEF : Avez-vous chiffré le coût annuel d’une telle mesure ? Jean Wemaëre : Sans avoir les moyens de faire une analyse fine, nous évaluons le crédit d’impôt formation ciblé sur les PME à environ 300 M€. Mais ces 300 M€ seraient dérisoires à côté des impacts positifs d’une telle mesure ! L’employabilité et la compétitivité générées seraient bien sûr source de richesses pour l’ensemble de notre pays. Si la majorité actuelle n’est pas intéressée, peutêtre que la suivante le sera… Nous avons des contacts avec toutes les personnes intéressées. C’est un combat à long terme, mais j’y crois. Toutes les études montrent que la formation professionnelle est un des défis majeurs du XXIe siècle et nous sentons une prise de conscience. Emmanuelle Pérès : Nous travaillons également à d’autres modalités de valorisation de l’investissement formation, notamment sur la mise en place d’un label "capital humain" ou autour de la question du suramortissement. Aujourd’hui, l’investissement formation est éligible à l’amortissement dans des cas restreints, notamment l’investissement dans une plateforme LMS détenue par l’entreprise. Mais pour aller plus loin sur l’amortissement, il est clair qu’il faudrait inventer un modèle qui n’existe pas encore. La valorisation des entreprises sur la base d’un label "capital humain" serait plus simple, et permettrait de faire bénéficier les entreprises détentrices de ce label d’un accès facilité aux prêts bancaires. Il nous faut faciliter et valoriser le financement des PME de leurs actifs immatériels.

AEF : La mise en place du crédit d’impôt formation auraitelle besoin d’un véhicule législatif ? Profiter de la loi travail ? Dans un communiqué diffusé le 23 mars 2016, la FFP appelle "le gouvernement [à] étudier au plus vite la mise en oeuvre [des] préconisations" du rapport Cherpion/Gille. L'organisation patronale suggère de "notamment" profiter de l’actuel "projet de réforme du code du travail" pour avancer sur ces sujets. Jean Wemaëre : Pour concrétiser nos propositions, il existe plusieurs niveaux d’actions possibles qui ne passent pas forcément par un cadre législatif. Nous proposons certes le crédit d’impôt, mais nous travaillons aussi, avec tous les membres du groupe de pilotage (partenaires sociaux, ministères, responsables de formation…) sur un guide pratique à destination des PME pour les aider à faire de leur investissement formation le premier moteur de leur performance économique et sociétale.

Nous travaillons également à la rédaction d’un livre vert sur l’innovation en formation pour mettre en valeur l’ensemble de l’écosystème du développement des compétences à travers des cas concrets d’entreprises. L’innovation se décline sur trois chantiers : la pédagogie, au travers de l’introduction des nouvelles technologies ; l’évaluation des compétences, pour passer d’une logique académique à une logique beaucoup plus professionnelle ; l’innovation dans les nouveaux métiers associés aux compétences liées. Ces outils seront présentés dans les prochains mois et seront largement diffusés. AEF : Le rapport de JeanPatrick Gille et Gérard Cherpion pointe par ailleurs la complexité du CPF (compte personnel de formation)… Jean Wemaëre : C’est notre deuxième motif de satisfaction. Nous partageons leur constat sur la complexité du CPF. Nous en avons fait un droit universel qui ne sert quasi exclusivement qu’à abonder le financement de la formation des demandeurs d’emploi. Les grands perdants dans cette histoire sont les salariés qui, malgré la faiblesse du DIF [droit individuel à la formation], avaient la possibilité d’utiliser directement leurs heures pour suivre des formations. Aujourd’hui, les listes de formation éligibles restent trop restreintes même si nous avons réussi à intégrer les formations les plus demandées, notamment linguistiques.

De plus, il y a un grand absent dans le CPF : le bilan de compétences. Le projet de loi travail prévoit de le réintroduire mais il y a des oppositions que je ne comprends pas. C’est une question de cohérence. Comme JeanPatrick Gille et Gérard Cherpion, nous proposons de simplifier le système de listes. Nous sommes prêts à contribuer pour trouver le système le plus optimal. Il doit être simple, transparent et agile. Nous pensons que les certifications inscrites à l’Inventaire doivent être par défaut éligibles au CPF car elles sont par nature transversales et impactent toutes les régions et toutes les branches. En ce qui concerne les certifications RNCP, les listes régionales et de branche sont utiles pour tenir compte des spécificités des besoins "métiers" mais leur articulation avec la LNI doit être fluidifiée. Plus globalement, derrière la querelle du CPF, il y a un conflit de souveraineté entre la souveraineté née du paritarisme et la souveraineté de l’État, que l’on retrouve dans la question de la fusion FPSPPCopanef. À l’instar des parlementaires, nous pensons que l’État est pleinement légitime dans la mise en oeuvre de dispositifs universels d’accès à la formation. Un rééquilibrage est sûrement nécessaire. Emmanuelle Pérès : Comme le soulignent les parlementaires, certaines décisions des acteurs en charge de la mise en oeuvre de la réforme nous écartent de l’esprit de la loi qui consistait à mettre l’individu et le chef d’entreprise au centre du dispositif. Or, aujourd’hui, de nombreux individus ne trouvent pas ce qu’ils veulent dans les listes. De plus, pour les demandeurs d’emploi, l’objectif était de réduire la durée d’attente avant l’entrée en formation, qui est de six à huit mois, mais il n’en est rien aujourd’hui. Pour atteindre cet objectif, il faudrait que ce soit le demandeur d’emploi qui s’autoprescrive sa formation avec une validation, ou pas, a posteriori. Ça se fait déjà dans certaines régions et ça fonctionne. Dans ces cas, ce sont les organismes de formation qui assurent le risque. AEF : Ces "dérives" que vous dénoncez, en particulier sur le fléchage des fonds du CPF vers les demandeurs d’emploi étaient prévisibles, voire visées par les pouvoirs publics. On ne peut pas s’en étonner aujourd’hui… Jean Wemaëre : Il n’a jamais été question que le CPF soit fléché sur un statut (salarié ou demandeur d’emploi). Cela doit relever du choix de chaque individu de le mobiliser quand il le souhaite et sur la formation certifiante qu’il souhaite. Si le CPF se révèle être simplement un moyen pour les financeurs d’optimiser leurs flux de financement, il y a de quoi être perplexe compte tenu des effets du CPF sur l’activité de formation en 2015. Certains estiment ainsi que sur les 200 000 CPF validés pour les demandeurs d’emploi, plus des trois quarts seraient en réalité des formations qui auraient été de toute façon réalisées, avec ou sans CPF. Nous serons attentifs aux statistiques.

Plus largement, nous avions l’ambition que le CPF facilite l’accès à la formation et renforce l’appétence à se former en offrant plus de marges de manoeuvre aux bénéficiaires, mais ce n’est pas ce qui se produit aujourd’hui. Le mécontentement monte à la fois chez les chefs d’entreprise et les bénéficiaires qui sont de plus en plus frustrés de ne pas trouver ce dont ils ont besoin dans le CPF. AEF : N’étaitce pas un des objectifs de cette réforme que d’amener les entreprises à se réapproprier, sur le plan de formation, des actions qu’elles avaient transférées sur le DIF ? Jean Wemaëre : D’une part, nous sommes en période de crise, nous avions donc demandé une période transitoire de deux ans pour l’application de la suppression de l’obligation fiscale. D’autre part, avec la réforme du financement, la part mutualisée des fonds versés par les entreprises est passée de 0,7 % à 1 % de leur masse salariale, soit une augmentation de près de 50 % des montants mutualisés sur les budgets formation. Si les entreprises maintiennent le même effort de formation, en termes d’actions effectuées, ça leur revient donc plus cher. Le crédit d’impôt formation que nous préconisons aurait toute sa place dans ce paysage, pour inciter les entreprises à réinvestir le sujet. AEF : Sur un autre sujet, des questions se sont posées sur la capacité des opérateurs de formation à absorber le "plan 500 000"… Jean Wemaëre : Nous n’avons aucune inquiétude sur ce sujet. Nous évaluons à 150 000 le nombre de places de formations que les organismes de formations privés peuvent mettre à disposition. Les questions sont plutôt celles de la mise en oeuvre et des financements. Nous avons interrogé nos adhérents sur les formations les plus demandées et celles qui ont les meilleurs taux d’insertion : aide à la personne, digital, transportlogistique.

Par contre il y a peu d’emploi sur la transition énergétique aujourd’hui. Il ressort également un réel besoin sur les compétences transversales : gestion de projet à différents niveaux de compétences, comptabilité, gestion interculturelle, management de proximité, travail en équipe… Il y un vivier d’emploi dans les TPEPME. Il faut donc travailler la polyvalence des salariés qui se retrouve dans ces compétences transverses. AEF : Le dossier de la qualité des actions de formation progresse. Êtesvous satisfaits de l’orientation prise par les travaux en cours, que ce soit au Cnefop ou au Copanef ? Jean Wemaëre : Aujourd’hui, le débat hésite entre la validation du professionnalisme des organismes de formation et la validation de l’action de formation. Nous rappelons que le décret du 30 juin 2015 concerne la capacité des organismes de formation à réaliser des formations de qualité, et non l’évaluation par les financeurs de la qualité des actions de formation. Or, nous avons l’impression que les travaux du Copanef penchent vers ce deuxième sujet. C’est à l’écosystème d’apprécier la qualité des actions de formation, et surtout aux donneurs d’ordre et aux bénéficiaires. En ce qui concerne le décret du 30 juin 2015, nous souhaitons que soit, comme l’avait demandé la ministre, rapidement publiée la liste des certifications éligibles, et notamment celles mentionnées par les parlementaires dans leur rapport : l’ISO, l’OPQF et les normes Afnor. Emmanuelle Pérès : Nous ne sommes pas pour la fermeture du marché ; cela figerait l’innovation. Il faut que les organismes qui ne sont pas titulaires d’un label ou d’une certification puissent continuer à travailler. Nous considérons que c’est une bonne idée que tous les Opca se coordonnent et aient une démarche commune car l’enjeu est d’engager un maximum d’acteurs dans la démarche qualité. Par contre, nous estimons que cet outil doit être extrêmement simple et impliquer les professionnels de la formation. La première question posée à l’organisme doit être de savoir s’il est labellisé. Pour ceux qui ne sont pas certifiés, ils déclarent qu’ils satisfont aux 6 critères +1 définis par le décret [du 30 juin 2015] et, éventuellement, ils téléchargent des justificatifs.

Dans ce schéma, les Opca font des contrôles a posteriori et ils peuvent déréférencer si besoin. De même, pour les organismes qui sont certifiés, l’Opca se tourne vers le certificateur s’il identifie des dysfonctionnements. Ce système aurait le mérite de la simplicité et de la réactivité en permettant de régler les problèmes en trois à six mois alors qu’aujourd’hui la justice peut mettre cinq ans à trancher. Nous restons vigilants sur les travaux menés par le Copanef. AEF : Avezvous une visibilité sur le nombre d’organismes de formation qui sont aujourd’hui labellisés ou certifiés ? Jean Wemaëre : Il y a de l’ordre de 1 200 à 1 300 organismes certifiés par les trois principaux labels, sachant que 3 000 organismes ont un chiffre d’affaires supérieur à 750 000 € en France. À terme, nous devrions arriver à 56 000 organismes labellisés comme c’est le cas en Allemagne. AEF : Il y a également des travaux en cours sur la définition de l’action de formation… Jean Wemaëre : L’administration tient absolument à maintenir la notion de programme. Or, une action de formation doit la dépasser. Il faut travailler en termes d’objectif d’acquisition de compétences et sur des modalités pédagogiques variées. Le programme ne doit pas être contractuel sinon il est trop contraignant. Cela oblige à faire un avenant à chaque modification. C’est un peu académique et scolaire ; or il faut redynamiser cette notion d’action de formation !

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