L'illettrisme coûte 0,2 % de la croissance annuelle

Wed Jan 18 2012 13:24:04 GMT+0100 (Romance Standard Time), Jean Wemaëre

A l’heure de la crise, la lutte contre l’illettrisme devient l’un des chantiers majeurs de notre société, avec de nombreux enjeux économiques et sociaux. Denis Tersen, directeur de l’agence régionale de développement Paris Ile de France, expliquait dans Le Monde du 10 janvier que « d’un point de vue macroéconomique, sachant que l’illettrisme représente cinq à six années de scolarité perdue et que près d’un francilien sur dix est illettré, on peut dire que la région Ile de France, à cause de l’illettrisme perd 0,2% de potentiel de croissance annuelle ». Mais au-delà du coût de la scolarité perdue, il faut ajouter le coût des erreurs provoquées par l’illettrisme en terme de sécurité ou de contrôle, sans compter là gestion de l’angoisse ou du stress du salarié concerné (cf. mon billet du 15 juin 2009). C’est pourquoi il faut saluer l’initiative de Michel Zorman, médecin de santé publique et directeur au laboratoire de sciences de l’éducation à l’université Pierre Mendès France de Grenoble : conscient de ce grave problème, il a développé la méthode PARLER (Parler, Apprendre, Réfléchir, Lire Ensemble pour Réussir).
Celle-ci a été expérimentée entre 2005 et 2008 à Grenoble dans les grandes sections des classes de maternelle. Construite autour de quatre axes que sont le code alphabétique, l’analyse phonologique, le vocabulaire et la compréhension explicite, instrumentée avec des exercices d’assemblages de dessins associés à de la prononciation reprenant les syllabes, de mots intrus à découvrir et de puzzles, cette méthode est centrée sur la progression individuelle. C’est au passage une belle illustration de la montée en puissance de l’individu dans le processus d’apprentissage qui demeure le grand défi de l’éducation et la formation dans les prochaines années (cf mon billet sur le forum mondial de l’éducation du 28 novembre). Michel Zorman explique que « dans la méthode PARLER, il faut savoir précisément où en est chaque enfant pour lui permettre de progresser.».
Les résultats ont été spectaculaires : les groupes qui avaient suivi la méthode PARLER passaient largement au-dessus de la moyenne nationale. Les très faibles ne représentaient plus que 11% du groupe contre 25% dans l’échantillon moyen national. Quant aux très bons lecteurs, ils étaient montés à 42% contre 25 dans les groupes témoins. L’expérience a été reprise à Lyon mais sans une préparation suffisante des professeurs ; les résultats n’ont pas été à la hauteur de l’attente. Le laboratoire des sciences de l’éducation de Grenoble a donc décidé de suspendre l’opération.
Mais l’association AGIR pour l’école, financée par l’Institut Montaigne, a repris le projet et a lancé une nouvelle expérience au Puy en Velay depuis la rentrée de septembre dernier, accompagnée du suivi tout particulier du maire et ministre de l’enseignement supérieur Laurent Wauquier, dont la fille de 5 ans est concernée. Avec son accord, l’association AGIR teste également la méthode dans 175 classes en banlieue parisienne.
Si l’expérience est concluante, elle devrait se généraliser, avec le double espoir de réduire le nombre d’illettrés et de mettre fin à la guerre scolaire entre syllabiques et globalistes. L’enjeu est de taille car à la journée Défense et Citoyen en 2010 destinée aux jeunes de 17 ans, 5% d’entre eux étaient quasi analphabètes, 5.7% lisaient sans comprendre, 9.6% avaient une vague notion du sens à travers une lecture incohérente et enfin 9.2%% avaient du mal à lire, c’est-à-dire selon la définition du ministère de l’Education « mettent 2.5 secondes à déchiffrer une paire de mots contre 1.3 secondes pour un lecteur efficace. »
Les mêmes résultats s’appliquent aux enfants de 9 ans. Le programme Pirls (Programme International de Recherche en Lecture Scolaire) compare l’aptitude à la lecture d’enfants issus de classes de CM1 soit d’âge moyen de 9 ans dans différents pays. En 2006, la France comptait 24% de lecteurs de niveau faible contre 12% au Royaume Uni et 13% en Allemagne. C’est peut être une des raisons de plus de l’écart de compétitivité entre la France et l’Allemagne ! Quoiqu’il en soit, l’impact de l’illettrisme est bien à la fois sociétal et économique. Sa réduction améliorera certainement les compétences individuelles et collectives de la population active et contribuera à générer de la croissance.
Ce projet challenge à la fois le monde de l’éducation et celui de la formation. Il mérite que l’on se mobilise tous pour réussir. C’est une question de dignité et de respect que de permettre à tous nos concitoyens de lire et écrire pour pouvoir vivre et travailler normalement, participer au débat démocratique et exercer avec discernement leur liberté. Jamais peut-être le savoir opérationnel n’a eu de si puissants et forts enjeux.

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