La guerre des talents n'aura pas lieu

Sans vouloir plagier Jean Giraudoux, la question mérite d’être posée à la lumière de deux enquêtes menées sur la recherche de talents ou futurs leaders ou dirigeants dans les entreprises aujourd’hui.
Selon une étude dirigée par Manpower auprès de 30 000 entreprises dans le monde entier, le tiers d’entre elles aurait du mal à recruter des cadres ou managers compte tenu de la relative pénurie de talents sur le marché du travail. Pourtant les candidats ne manquent pas, leur nombre n’ayant pas cessé d’augmenter dans le contexte de crise qui est le nôtre... Il s’avère qu’il n’y a pas toujours la bonne adéquation entre les compétences des candidats et celles requises par le poste à pourvoir.
D’où la tentation de plus en plus grande des entreprises d’aller chercher leur talents chez les concurrents ou en tout cas à l’extérieur de l’entreprise. L’autre enquête, menée par le Boston Consulting Group en collaboration avec la World Federation of People Management auprès de 5 000 entreprises le confirme puisque ces entreprises recrutent près de 50% de leurs dirigeants à l’extérieur de la compagnie. C’est une terrible erreur selon Boris Groysberg, professeur à Harvard et auteur d’un livre publié chez Princeton University Press, intitulé « Chasing the stars: The Myth of Talent and the Portability of Performance ».
Il a décortiqué une étude sur la performance des analystes financiers et son évolution à travers leurs carrières. Aussi surprenant que cela puisse paraitre, il s’avère que ces stars de Wall Street voient leurs performances se dégrader au fur et à mesure de leurs changements d’entreprises. Perte de repères, perte de ressources, perte d’histoire et de culture, nécessité de reconstruire des liens, etc. La lassitude s’installe et la motivation se détériore.
En bref, le changement ne serait pas selon Boris Groysberg signe de performance. Le rapport entre l’individu et son travail est ainsi extrêmement puissant et sa modification à travers un transfert d’entreprise est toujours perturbante. L’étude montre d’ailleurs qu’elle l’est moins pour les femmes, qui sont moins dépendantes de leur environnement que les hommes. Alors pourquoi chercher à l’extérieur ce que l’on a potentiellement chez soi ? Une étude récente émanant du IBM Institute for Business Value : "Ressource humaines : transcender les frontières/IBM Global CHRO Study", suggère pour sa part que « les DRH vont devoir polariser leurs efforts sur trois axes dont ils reconnaissent l’importance mais qu’ils ne sont pas aujourd’hui en mesure de mettre en oeuvre : former les leaders de demain, développer rapidement les compétences et les capacités du personnel, et stimuler la collaboration et la mutualisation des connaissances ».
Le même débat se retrouve d’ailleurs, mutatis mutandis, à l’échelle de tous les pays, comme le soulignait récemment un article du Financial Times : Business urged to focus on homegrown workers (18 novembre 2010).
Il apparaît ainsi clairement que la chasse aux talents ne saurait se substituer au développement de ses propres ressources internes, notamment par un travail pertinent sur la définition des compétences requises des postes à pourvoir, et la mise en place, à travers des universités d’entreprises, de programmes de formation offrant a tous ceux qui peuvent y prétendre la possibilité d’assurer les fonctions de dirigeant et cela sans être obligés d’aller les chercher à l’extérieur. La guerre des talents pourrait ainsi être évitée.