Former pour éviter la rupture de la chaîne du savoir opérationnel : l' exemple du secteur Textile Français
Dans mes blogs précédents j’ai essayé d’établir le lien entre la chaîne du savoir opérationnel et la création de valeur. Dans le secteur nucléaire où notre pays avait pris une certaine avance, il y a trente ans, l’arrêt des embauches limitant le renouvellement scientifique et le départ en retraite des tenants du savoir professionnel, ont rendu difficile la relance de la compétitivité du secteur. Une des conséquences les plus visibles d’un tel état de fait est la recherche effrénée d’ingénieurs, malheureusement en période de pénurie. La perte du savoir opérationnel et sa nécessaire reconstruction laissent pendant ce temps le champ la libre à la concurrence internationale.
Cependant cette rupture de la chaîne du savoir opérationnel peut avoir des effets bénéfiques inattendus. Ainsi, dans le secteur pharmaceutique, le savoir opérationnel pris en tenaille entre une rentabilité décroissante des investissements et des politiques de maîtrise des dépenses de santé, a su se reconstruire en redéployant par l’innovation et le travail collaboratif de nouveaux process moins bureaucratiques et plus performants.
A cet égard, un autre secteur retient aujourd’hui mon attention : celui du textile et de l’habillement. Il s’agit d’un secteur qui faisait la fierté de notre pays attirant les jeunes talents qu’ils soient dessinateurs, chimistes, publicitaires ou ingénieurs. Malheureusement la concurrence internationale des pays à faible coût de main d’œuvre et l’insuffisant renouvellement des process et des produits du secteur a entrainé beaucoup de fermetures d’usines et de délocalisations. C’est dans ces conditions que le gouvernement a demandé à Madame Clarisse Péroti-Reille un plan stratégique pour le textile et l’habillement. Ce rapport vient d’être remis au ministre Hervé Novelli Secrétaire d’Etat chargé des entreprises et du commerce extérieur.
Les conclusions sont simples et sans appel, la transformation ne peut s’opérer que s’il y a une très forte montée en compétences du secteur.
C’est pourquoi il lui est recommandé de :
- Rénover son image pour attirer les jeunes talents
- Innover dans les produits, les collections et les matières
- Repenser la chaîne logistique
- Créer un réseau de valeur
Cette montée en compétences nécessite de former à la fois les managers et les salariés en poste, même très peu qualifiés. Il convient d’embaucher des jeunes qui apporteront des forces et des contributions nouvelles et diminueront le taux d’ancienneté le ramenant à la moyenne nationale (la moitié des salariés du secteur a plus de 10 ans d’ancienneté contre 38% en moyenne). Enfin, il faut définir des profils nouveaux associant des compétences mixtes, maillant par exemple le marketing et la chimie ou la logistique et la communication.
Cet ensemble de mesures permettra la reconstruction d’une nouvelle chaîne de savoir opérationnel capable de créer de la valeur. D’ailleurs le secteur du textile l’a déjà compris puisque depuis 2002 plus de 9000 personnes ont bénéficiés de formation soit 71%des salariés de 620 entreprises et l’objectif des deux prochaines années, mis en avant par le rapport, consiste à former 6000 personnes de plus. De plus la branche s’est mobilisée à travers son organisme gestionnaire des fonds de la formation le Forthac. Elle a instrumenté la démarche en créant un outil simple mais efficace le PMQ ou « parcours modulaire qualifiant » qui offre à chacun la double possibilité de construire un parcours de formation correspondant à ses besoins et de bénéficier en permanence d’une reconnaissance professionnelle grâce à un dispositif de qualification.
Cette démarche est extrêmement motivante car elle évite les lourdeurs de la validation des acquis a postériori par l’Education nationale ; la reconnaissance étant, quand elle se trouve justifiée, immédiatement actée par la branche. Cela procure une réelle motivation aux salariés qui peuvent ainsi poursuivent leur parcours (PMQ) en enchainant des modules supplémentaires. Ce dispositif innovant devrait, par ailleurs, trouver sa place dans la réflexion que les partenaires sociaux conduisent en ce moment sur la sécurité des parcours de qualification. Il pourra faire l’objet d’une mutualisation, au titre de bonne pratique, auprès d’autres branches.
Enfin le Forthac a installé un observatoire de l’évolution des métiers projetant ainsi les nouveaux profils et pouvant offrir des perspectives aux jeunes diplômés.
Cet exemple est intéressant car il illustre bien qu’il n’existe aucune fatalité économique qui s’imposerait au développement d’une offre innovante et à forte valeur ajoutée. Encore faut il avoir la vision et la détermination pour le réaliser. La branche du secteur du textile et de l’habillement en réorganisant et renouvelant sa chaîne du savoir opérationnel a eu cette volonté.
Elle lui permettra, je l’espère, de retrouver prochainement la puissance et la notoriété qui ont fait sa fierté et celui de notre pays.